Dans mon précédent post, j’avais écrit sur les « Salauds Gentilhommes », des voleurs pleins de panache et de talent. Dans celui-ci, je voudrais évoquer des voleurs sans aucun talent ni panache qui se nomment Mc Kinsey, suite au visionnage de l’excellent sujet de « Cash Investigation » (18/9) sur ces marchands de vent.

Je n’ai rien a priori contre les cabinets de conseil, j’ai piloté pendant 40 ans de petits vaisseaux pirates sur ces océans dont Mc Kinsey et ses collègues conseils en stratégie et virtuoses du pipeau sont les chalutiers industriels. Mais ce qui est fascinant chez « la Firme », c’est l’absence totale de scrupules à facturer 4000 ou 6000 balles la journée pour du déroulage de process et du bidouillage de vieilles missions réalisées par le réseau.

Si les « Big 6 » avaient un clergé, ce serait cette communauté de jeunes esclaves sur-entraînés, recrutés au berceau et enchainés à leur bureau 80 heures par semaine pendant 10 ans, purs cortex lobotomisés de tout scrupule éthique vendant à prix d’or des études de justification à des dirigeants devenus trop paresseux ou trop cyniques pour prendre le risque de réfléchir par eux-mêmes. Pourquoi acceptent-ils cette maltraitance de luxe ? Parce qu’ils savent qu’au bout de 10 ans, les survivants seront peut-être admis sur le manège enchanté des Partners.

Les « Big 6 », je le rappelle, ce sont les 6 évangiles qui façonnent les exactions du néo-capitalisme financier : Performance, Profit, Conformité, Concurrence, Croissance Infinie et Transformation Perpétuelle. Les partners de Mc Kinsey sont les grands prêtres de cette religion quantitativiste qui applique fièrement les principes du néolibéralisme à tous les domaines de l’activité humaine, entraînant des catastrophes en chaîne.

J’ai bien connu ce monde là et la façon dont il déglingue ses habitants. J’en ai aidé quelques uns à s’exfiltrer. Le reportage fait vraiment penser à la Mafia : les « repentis » s’expriment anonymement, à visage couvert, la voix trafiquée. Toutes les informations sont secrètes. Les enjeux sont des centaines de milliards, contrairement aux éléments de langage des gouvernements et de la Start Up Nation qui utilisent ces mercenaires du PowerPoint.

Un roman, paru l’année dernière, raconte parfaitement ce monde vu de l’intérieur. Il s’agit du « Dernier étage du monde » , de Bruno Markov. D’une plume informée et précise, non dénuée d’humour, il nous fait vivre les initiations successives de l’un de ces jeunes moines-soldats au service d’une oligarchie de Partners sous perfusion éternelle de Pognon et de Pouvoir. Il faut s’accrocher pour le refermer sans avoir envie d’aller poser des bombes.