L’eau déferle, les maisons s’effondrent, les familles pleurent, et les médias diffusent l’image d’une humanité impuissante, broyée par le destin.

C’est la structure même de la tragédie classique : la fatalité frappe et l’homme n’est que témoin de sa propre chute. Ce récit médiatique omniprésent nous fait vivre les inondations comme une épreuve à laquelle il est impossible d’échapper. Dans cette vision tragique, le destin est une force extérieure, inéluctable, qui frappe les innocents et laisse derrière lui un paysage de désolation et d’impuissance. Nous assistons, passifs, à cette grande mécanique qui nous dépasse.

Mais cette posture de victimes consentantes, écrasées par le poids d’un destin implacable, n’est-elle pas une forme de dissociation ? Le destin, tel qu’il est raconté dans la tragédie, est toujours extérieur à nous et dissocié de la tragique inaction de responsables politiques aplatis devant les lobbies et leurs intérêts financiers. Il nous arrive, nous assaille, sans que nous puissions y faire quoi que ce soit. Et pourtant, face à la tragédie des inondations, pourquoi ne pas réinventer le récit, le déplacer vers une autre forme narrative : celle du roman ?

Dans le roman, le héros n’est plus ce jouet du destin, condamné à la lamentation. Il est celui qui, face à l’adversité, mobilise ses ressources, lutte, invente, parfois échoue, mais ne reste jamais inerte. Le roman ne nie pas la violence du destin, mais il y répond par l’action humaine, par une tentative de résistance, même infime. Le héros romanesque incarne une capacité d’opposition : il n’est pas spectateur du drame, il en devient l’acteur principal.

Ainsi, il est temps de renverser le récit médiatique des inondations, de passer de la tragédie au roman. Il ne s’agit pas de minimiser l’horreur ou d’ignorer les souffrances, mais de redonner à l’humain son rôle dans cette lutte. Face aux catastrophes climatiques, nous ne sommes pas condamnés à subir. L’action collective, la mobilisation des savoirs, des solidarités, peuvent transformer ces tragédies en récits de résistance et de reconstruction. Le destin ne doit plus être cette force extérieure qui nous écrase ; il devient un adversaire contre lequel nous devons – et pouvons – lutter.