
Dans un récent épisode de l’émission C à vous, Bertrand Chameroy a proposé un sketch où il recrute des passants à la sortie d’un cinéma pour prétendre avoir vu et apprécié un film qu’ils n’ont en réalité jamais vu.
Face aux questions de l’humoriste, ces personnes improvisent sans limites, fabriquant des anecdotes et des critiques pour correspondre à ce qui est attendu d’eux, tout en affichant un sourire complaisant. Pas un seul ne refuse de participer.
Ce moment, qui se veut humoristique, est pourtant révélateur d’une époque où le réel se trouve continuellement dévalué au profit de la performance médiatique. Que ces passants aient ressenti l’envie de participer à cette farce, de jouer leur rôle avec enthousiasme, en dit long sur notre besoin d’être likés à tout prix, même au prix du mensonge. Car, au-delà de la simple dérision, ce sketch souligne une obéissance aveugle à l’autorité du micro et à l’aura des caméras qui ont remplacé la blouse blanche du scientifique (hello Milgram) . On se prête au jeu, non pas parce qu’on y croit, mais parce qu’on ne veut pas rater l’opportunité d’être vu, de participer, même de façon grotesque, à un moment télévisuel.
Ce qui est malaisant, c’est précisément cette servilité collective : l’absence de distance critique face à l’injonction médiatique. Les volontaires de ce sketch renoncent à la sincérité, au profit d’une validation éphémère, reproduisant en accéléré un phénomène plus large où la quête de visibilité prime sur l’authenticité. L’ambition de « passer à la télé » ou de répondre à celui qui tient le micro devient une motivation suffisante pour abandonner toute exigence de vérité.
Symptôme d’une société qui valorise de plus en plus la surface et la performance sociale, cette scène montre que l’important n’est plus ce qu’on vit réellement, mais ce qu’on donne à voir, ce que l’on prétend avoir expérimenté. Ce basculement est inquiétant : il banalise le fake, jusqu’à rendre normal le fait de participer à sa propre mystification. En cela, cette séquence dépasse l’humour pour révéler une tendance insidieuse où le réel est progressivement vidé de sa substance, sacrifié sur l’autel du storytelling.
Teilhard de Chardin disait qu’il y a l’en-dehors et l’en-dedans et que l’axe de l’évolution va de l’en-dehors vers l’en-dedans. L’en-dedans s’approfondit avec la complexification de l’être: un bloc de marbre n’est quasiment que de l’en-dehors et l’en-dedans culmine avec l’être humain où s’épanouit la conscience. Toutes nos pesanteurs nous tirent vers l’en-dehors: les addictions, les réflexes conditionnés, l’obéissance irréfléchie, etc. La généralisation de la selfiemanie, de l’exposition aux médias nous fait régresser. Notre société cultive l’en-dehors de nous-même au détriment de notre profondeur.
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Oui l’analyse est très intéressante . Ce qui me préoccupe est que la définition d’une identité basée sur des ressources, des valeurs, des rêves et des engagements est en train de se dissoudre dans l’ambition court-termiste d’obtenir son quart d’heure de célébrité (cf Andy Warhol) et quelques likes hypocrites ou indifférents qui actionnent notre circuit de la récompense .
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