
Le biopic musical est un genre difficile à maîtriser. Il s’agit de raconter une trajectoire artistique et intime, de donner vie à des légendes, tout en évitant l’écueil du simple enchaînement d’anecdotes ou de la reconstitution appliquée. Deux films récents s’y sont frottés : Un parfait inconnu, consacré aux débuts de Bob Dylan, et Maria, qui retrace les derniers jours de Maria Callas. Deux récits, deux destins hors norme, deux performances d’acteurs impressionnantes – Timothée Chalamet d’un côté, Angelina Jolie de l’autre – et pourtant, un film fonctionne à merveille tandis que l’autre peine à convaincre. Pourquoi ?
Une première hypothèse pourrait être le simple rapport que nous entretenons avec les trajectoires artistiques : les débuts fascinent, les fins attristent. Un parfait inconnu capte Dylan à un moment où tout est encore possible : il compose ses premières chansons, forge son identité, prend des risques, s’affronte au regard des autres, subit la critique et finit par imposer son propre langage musical. Il y a une énergie vitale, une soif de conquête qui nous emporte avec lui.
Maria, en revanche, commence là où tout est déjà perdu. La diva s’enfonce dans la solitude et la douleur, hantée par la disparition de sa voix, ce don divin qui s’est évaporé avec l’âge et les abus. On la suit errant dans son appartement parisien, avalant des pilules, se débattant avec ses fantômes, tandis que des flashbacks en noir et blanc tentent de raviver les souvenirs de sa splendeur passée. Son histoire avec Aristote Onassis, l’ombre de Kennedy et de Marilyn, les triomphes scéniques… Mais le présent est irrémédiablement figé dans la mélancolie.
Le problème n’est pas que Maria raconte une chute – de grands films ont brillamment exploré cet arc narratif –, mais qu’il nous enferme trop tôt dans la déchéance, sans nous laisser d’espace pour espérer, pour respirer.
Le découpage joue aussi un rôle clé. Un parfait inconnu adopte une narration linéaire, nous emmenant avec Dylan dans sa conquête du monde, tandis que Maria fragmente son récit entre un présent claustrophobique et des souvenirs stylisés. Le choix du noir et blanc pour les flashbacks accentue la distance, les réduisant à des images figées du passé plutôt qu’à de véritables moments de vie. Là où Un parfait inconnu nous plonge au cœur de l’action, Maria nous maintient en spectateurs passifs d’un drame dont l’issue est écrite d’avance.
La mise en scène renforce cette impression. Le film sur Dylan vibre d’un réalisme brut, il nous immerge dans les concerts, les sessions d’enregistrement, les discussions enfumées des cafés new-yorkais. Maria, à l’inverse, privilégie des plans élégants mais distants, souvent longuets, qui figent Callas dans son propre mythe. L’esthétisme glacé finit par éteindre l’émotion.
Pourtant, les deux films ont en commun un immense travail sur la voix et la musique. Timothée Chalamet, qui interprète lui-même les chansons de Dylan, parvient à capter son phrasé traînant et l’énergie nerveuse de ses performances scéniques. Angelina Jolie, quant à elle, joue avec une diction travaillée et un phrasé élégant, mais son incarnation semble plus extérieure, plus démonstrative. La Maria Callas qu’elle incarne n’est plus qu’une ombre d’elle-même dès les premières minutes du film, ce qui la condamne à un registre monotone où tout n’est que douleur et absence.
Finalement, la réussite de Un parfait inconnu et l’échec relatif de Maria tiennent peut-être à la manière dont ces films envisagent leur personnage. L’un célèbre une métamorphose artistique, l’autre filme une disparition. Or, pour qu’un film sur la chute fonctionne, il faut qu’il nous donne quelque chose à saisir, une dernière étincelle de vie, une lueur d’espoir, ou à l’inverse une descente aux enfers vertigineuse et hypnotique. Maria, en choisissant d’être avant tout un film de deuil, ne laisse que peu de place à cette tension.
En sortant de la salle, on se dit que si Callas avait eu une deuxième vie, un ultime éclat, peut-être aurions-nous ressenti plus que la simple tristesse de voir une étoile s’éteindre.
Étrangement tu me donnes également beaucoup envie de voir Maria car j’aime l’idée de ce récit désemparé et esthétique. Alors je regarderais les deux 😆
Sinon très bel exercice de comparaison critique et d’explications sur poursuoi Maria n’a pas fonctionné 😉
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D’abord merci du compliment ! Maria n’a pas fonctionné pour moi mais ce n’est que mon ressenti bien sûr. Angelina Jolie s’en sort avec les honneurs mais le film reste une errance hallucinée et un peu glacée. Dans un tout autre sujet, Outsphere tient bien ses promesses : j’en suis au T3 et ça monte encore en puissance…
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C’est pour ça que je veux tester parce que parfois on peut ne pas avoir le même rapport à certains partis pris artistiques.
Youpi pour Outsphere !
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