
Avec Un avenir radieux, Pierre Lemaitre boucle son ambitieux cycle des Années glorieuses, entamé avec Le Grand Monde et poursuivi avec Le Silence et la colère. Trois romans, trois époques, trois radiographies d’une France en mutation, à travers les heurts et les fortunes de la famille Pelletier. On referme ce dernier volume avec un sentiment double : la satisfaction d’un festin narratif, et la mélancolie d’avoir quitté trop tôt une table où l’on se régalait.
Dans ce troisième tome, l’auteur nous propulse en 1959, entre les vitrines du Printemps, les ombres de Prague et les espoirs incertains de la nouvelle société de consommation. Comme toujours chez Lemaitre, ça fuse, ça claque, ça vit. Les personnages s’aiment, se trahissent, s’envoient des piques et des secrets d’État à la figure. On y croise des agents doubles, des matrones commerçantes, des agressions sexuelles, des enfants en déséquilibre, et surtout des femmes qui avancent, chacune à leur manière, dans un monde fait pour les freiner. Et toujours des personnages ciselés avec justesse et générosité.
Mais ce qui m’a frappé cette fois, au-delà de la maestria scénaristique (car oui, Lemaitre sait raconter, c’est même indécent tant c’est fluide), c’est cette manière très française, très classique, très… balzacienne, d’ausculter la société à travers ses classes, ses postures, ses faux-semblants. La haute, la petite, la moyenne. L’argent, le pouvoir, le désir. La province et la capitale. Le magasin et le ministère. Tout est là.
Balzac écrivait pour comprendre son siècle. Lemaitre, lui, écrit pour nous rappeler que le nôtre y plonge ses racines et que finalement, la comédie humaine n’a pas tellement changé.
Certes, le ton n’est pas le même : là où l’auteur de La Comédie humaine pesait ses phrases comme des sentences, Lemaitre cisèle les siennes comme des dialogues de cinéma. Mais la langue, chez lui, reste impeccable. Précise, élégante, jamais précieuse. Il a ce don de faire parler le peuple sans l’avilir, de faire penser les puissants sans les excuser, de donner à chaque personnage – même secondaire – une existence crédible. Et souvent, un humour mordant.
Alors, oui, je l’affirme mordicus : Pierre Lemaitre est notre Balzac moderne. Moins pompier, plus joueur. Mais tout aussi déterminé à capturer les mœurs d’une époque, à donner chair aux trajectoires sociales, et à nous faire réfléchir sans jamais nous juger.
Peut-être que dans cinquante ans, on enseignera Les Années glorieuses comme un miroir fidèle du XXe siècle français, de ses illusions industrielles à ses désenchantements politiques. D’ici là, savourons ce dernier tome pour ce qu’il est : un roman à la fois haletant et savant, drôle et cruel, construit comme un puzzle où chaque pièce éclaire les autres. Et si vous n’avez pas encore lu les deux premiers, chanceux que vous êtes – il vous reste un monde à découvrir.
J’ai très envie de lire ton article mais dans le même temps, comme je veux lire le bouquin…Il faut que je fasse un choix.
Bon je reviendrai te voir un peu plus tard, mais quand ? ça c’est un mystère ! 😉😁
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Haha t’inquiète je spoile pas 😅
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ça je sais !
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Ohlala quel article !
Je dois confesser n’avoir jamais lu Lemaitre, juste vu son adaptation de Aurevoir là haut qui fut une claque
Alors forcément ton texte m’interpelle, même si Balzac et moi on n’est pas très copain. On va dire que sa plume n’était pas pour moi. Mais ici en revanche, j’ai envie !
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C’est du grand roman Français classique mais le style de Lemaitre est bien évidemment très contemporain bien qu’écrivant un très beau français…
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Et c’est bien pour ça que ça me tente bien plus !
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