Sous ses airs de mini-série policière classique, La Résidence est une petite bombe. L’air de rien, planquée derrière ses jumelles, ses listes d’oiseaux et son grand cabas fourre-tout, Cornelia Cupp déboule dans le bureau ovale comme une héritière de Miss Marple… sauf qu’elle vient avec des répliques cinglantes et un regard acéré sur l’Amérique de Trump.

Car oui, La Résidence, dernière pépite de Shonda Rhimes (la prêtresse narrative derrière Grey’s Anatomy, Scandal, Bridgerton et Inventing Anna, entre autres merveilles), ne se contente pas de résoudre un crime. Elle revendique fièrement son ancrage dans le whodunit à l’ancienne, façon Agatha Christie — plans minutieux, suspects hauts en couleur, huis clos et indices glissés comme des bonbons vénéneux. Mais elle y injecte une bonne dose de mordant contemporain.

Tout commence lors d’un dîner d’État à la Maison Blanche, au cœur du décorum le plus solennel. En plein milieu de la soirée officielle, on retrouve le chef huissier, A.B. Wynte, mort dans un salon, les veines tranchées. Suicide, dit-on. Mais Cornelia Cupp, fraîchement débarquée dans cet univers feutré, démonte la thèse en quelques instants avec l’élégance d’un faucon en chasse. Dès lors s’ouvre une folle course à la vérité, entre trahisons, secrets enfouis, rivalités mesquines et loyautés en ruine, parmi la centaine d’employés de la Maison Blanche – dont un bon nombre auraient eu d’excellentes raisons de souhaiter la disparition d’A.B. Wynte.

Inspirée du livre La Résidence : Dans l’intimité de la Maison-Blanche de Kate Andersen Brower, la série reprend les codes du Cluedo géant — 132 chambres sans compter les passages secrets, 157 suspects, un seul corps, et une inspectrice excentrique à souhait. Arrivée sur Netflix le 20 mars, elle était l’une des séries les plus attendues de l’année. Casting haut de gamme (Uzo Aduba, découverte dans Orange Is The New Black, Susan Kelechi Watson, et l’immense Andre Braugher malheureusement décédé en cours de tournage), dialogues affûtés, tension dramatique millimétrée : tout est au cordeau.

Les dialogues sont ciselés, les personnages habités, la mise en scène d’une inventivité folle : travellings d’opéra, contre-plongées d’espionnage, coupes au scalpel. Et ce ballet visuel dans les couloirs de la Maison Blanche… on croirait du Sorkin sous LSD.

Mais surtout, La Résidence n’oublie jamais d’être politique. Elle fouille les impensés de la masculinité, dézingue les postures de pouvoir, réinvente la figure de l’héroïne noire sans en faire une icône figée. On est là pour l’enquête, mais on reste pour la révolution.

Et pour les amateurs de polar, c’est un festival : références assumées à Conan Doyle, Ellery Queen, Agatha bien sûr, mais aussi Columbo, À couteaux tirés, et même quelques clins d’œil malicieux au Parrain. Le tout emballé dans une réalisation étourdissante – plans-séquences virtuoses dans les couloirs de la Maison Blanche, découpages chirurgicaux, montages qui font swinguer l’intrigue comme une comédie musicale paranoïaque.

Bref, un pur plaisir. Un polar déguisé en sucrerie, qui explose sous la dent. Et qui, en passant, pose deux ou trois questions bien dérangeantes sans jamais rien perdre de son énergie jubilatoire.