
La solitude est la toile blanche sur laquelle on peut peindre une trajectoire personnelle, le silence qui nous invite à composer une mélodie originale, la page vierge où le récit d’une vie dont on serait l’auteur redevient possible.
C’est dans ce retrait du tumulte que l’on entre en dialogue avec soi-même, dans cet espace où le brouhaha s’efface pour laisser émerger les notes encore inaudibles de notre propre symphonie.
Pourtant, l’identité est un projet social en négociation constante, disait Michael White. Elle se tisse à travers nos interactions, nos liens, les histoire que les autres racontent à notre sujet parfois depuis notre enfance. Mais ce projet rayonne à partir d’un centre immobile, un espace en nous-même, inviolable, d’où l’énergie de chaque relation émane. Se tenir au centre du cercle, c’est permettre à chaque rayon de s’étendre harmonieusement. Sans ce point d’équilibre, l’éclat de nos liens s’affaiblit, perd en intensité.
Mon père me racontait souvent l’histoire des hérissons en hiver. Ces créatures se serraient les unes contre les autres pour se réchauffer, mais s’éloignaient dès que les épines des autres commençaient à les piquer. Ils passaient leur vie à chercher la bonne distance, cet espace précaire où ils n’auraient ni trop froid, ni trop mal. N’est-ce pas là une métaphore de nos existences sociales ? Ce balancement incessant entre l’intimité et la distance, entre le besoin d’être avec et celui d’être sans.
Prendre du temps pour soi… Une chose que notre société semble interdire tacitement. Elle nous submerge d’informations, d’opportunités, de prescriptions : soyez ceci, devenez cela, réalisez-vous dans chaque case de votre vie. On nous impose une course effrénée vers la performance, comme si chaque seconde devait servir un dessein. Et pourtant, dans cette quête sans fin, le simple fait de « ne rien faire » devient un acte de résistance.
S’arrêter, reprendre son souffle. Être là, simplement là, conscient de vivre cette vie qui nous traverse. Rendre hommage à tous ceux qui ont permis cette expérience – nos ancêtres, nos proches, l’infini fragile de ce présent. Puis, quand l’instant de solitude a joué sa partition, revenir dans ce que Laforgue appelait avec dérision « la famille humaine » : y entrer de nouveau, non pas comme un participant épuisé, mais comme un membre renouvelé, utile, accueillant, bienveillant. Car c’est dans cet aller-retour entre le cercle et son centre que nous cultivons la chaleur des hérissons, sans jamais perdre de vue notre juste distance.