Scholastique, c’est aussi un prénom. C’est celui de Scholastique Mukasonga, écrivaine rwandaise dont le recueil de nouvelles « ce que murmurent les collines » m’a sauté dans les mains à la librairie-tabac-presse de Miquette. Depuis plusieurs jours déjà, j’avais le Rwanda dans la tête. Les cérémonies de commémoration des 20 ans du génocide, avec aucun-e officiel-le français-e invité-e. Les accusations de Kagame contre la France accusée de complicité active. Me voilà dans la position des Allemand-e-s et ça me rend plutôt triste.
Je pensais à une chose que disait Cheryl White avec un peu de colère : « ces thérapeutes qui viennent au Rwanda, ils-elles vivent une expérience extraordinaire, ça marque un tournant dans leurs carrières, ils progressent dans leur pratique et puis ils-elles s’en vont et ne reviennent jamais ».
Et puis je décide de conserver l’incroyable intelligence des gens-tes pour vivre dans l’ombre d’un mausolée, le talent de David Denborough improvisant un discours au dîner d’Ibuka, la sourire de cette dame qui voulait que j’écrive une chanson sur ses parents à partir de leurs photos (« tu feras bien »), les sessions de répétition avec Pierre Claver et Aya, les jeunes danseur-se-s de la compagnie qu’il a créée autour de l’idée des grands frères, les regards des enfants à la Maison d’Antoine. Je conserve la rencontre avec la dignité à l’état brut.
La dignité à l’état brut, sans aucun doute, pour toi, pour chacune des personnes que tu as rencontré là-bas, bourreaux, victimes, thérapeutes …
Mais l’histoire d’un état qui ne veut pas dire les mots qu’il doit au peuple rwandais, mots d’excuse, mots de pardon, mots de vérité. Dire, tout simplement, qu’il a longtemps soutenu et armé le pouvoir qui l’a planifié, parce qu’il a formé les civils et les militaires qui l’ont exécuté, parce qu’il n’est pas intervenu pour l’empêcher, parce qu’il a laissé sans défense des populations qui lui demandaient protection … est ce digne ? Est ce que c’est cela qui te rends triste ? Moi, oui.
Six ans à peine après le génocide, un responsable politique européen (premier ministre d’alors, Guy Verhofstadt, en Belgique) n’hésitait pas à faire sobrement cet acte de contrition auquel la France se refuse toujours : « Un dramatique cortège de négligences, d’insouciances, d’incompétences, d’hésitations et d’erreurs, a créé les conditions d’une tragédie sans nom. Et donc j’assume ici devant vous la responsabilité de mon pays, des autorités politiques et militaires belges, et au nom de mon pays, au nom de mon peuple, je vous demande pardon pour ça. »
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« Faute avouée à moitié pardonnée » chantait Enzo Enzo.
Je pense combien c’est difficile de se sentir impuissant-e, d’être juste parfois des témoins de ce temps dans lequel nous vivons. 20 ans déjà, combien c’est difficile de devenir adulte, responsable de sa vie de ses actes. Je pense à tous ses enfants soldats, devenus adultes aujourd’hui. Je pense à tous ses soldats pris au piège dans une situation qui les dépasse sont ils devenus des adultes eux aussi ? Quelle leçon peut on en retenir aujourd’hui à l’époque d’internet ? Quand nous savons et que nous laissons faire. Notre dignité est dans notre parole.
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