Qu’est-ce qui nous pousse à regarder encore et encore Columbo, malgré les doublages approximatifs, les coiffures dépassées et des dialogues ringards ?

La réponse se trouve dans la structure unique de la série et dans son personnage principal, ce lieutenant apparemment bas du front, bordélique, souvent sous-estimé, mais incroyablement perspicace. Contrairement aux séries policières classiques où l’on cherche à deviner qui est le coupable, Columbo nous montre le meurtre d’entrée de jeu. Ce n’est pas le mystère du « qui » mais du « comment » qui nous captive. Voir ce lieutenant mal fagoté, avec son trench-coat défraîchi, so’ cigare machouillé et son célèbre « Juste une dernière question », piéger calmement des criminels sûrs d’eux est toujours un plaisir.

Il y a aussi un certain confort dans la répétition : on sait que Columbo triomphera, mais on attend avec impatience la manière subtile dont il va dénouer l’affaire. Au-delà de son côté désuet, Columbo incarne une forme d’intelligence et de moralité qui, paradoxalement, résonnent encore aujourd’hui. Face à une époque cynique où tout va vite, où les intrigues sont complexes et les effets spéciaux omniprésents, revenir à l’essentiel, avec un homme qui se fie uniquement à son esprit et à sa ténacité, avec ses téléphones en bakélite, a quelque chose de profondément rassurant.

Il ne faut pas sous-estimer non plus la dimension de revanche sociale. Columbo, avec son air d’avoir dormi dans sa voiture, son comportement de gros relou et son regard affûté, déstabilise constamment des criminels issus de l’élite, riches et puissants, qui le méprisent au premier regard. Mais c’est justement là que se joue la magie de la série : ce petit lieutenant aux manières frustes incarne une justice implacable. Il rétablit l’ordre face à ceux qui pensent pouvoir échapper à tout, protégés par leur argent ou leur influence. Voir ces arrogants tomber face à l’intelligence tranquille de Columbo nous offre une petite victoire, par les temps qui courent : celle de l’humble sur l’arrogant prétention, du peuple malin sur le privilégié méprisant et avide. Marcuse, un philosophe que personne ne connait plus, aurait appelé ça de la « désublimation répressive ». Bref ça fait du bien, un peu de justice.