
Dans un passionnant article récemment publié dans l’European Journal of Trauma and Dissociation, le psychologue Éric Binet explore l’évolution du syndrome de Munchausen (SM), un trouble factice, vers une forme contemporaine baptisée Munchausen par Internet (MbI).
Il observe une prolifération de témoignages en ligne, souvent chez des jeunes adultes, se déclarant atteints de troubles dissociatifs de l’identité (TDI) sans qu’un diagnostic clinique ne le confirme. Selon Binet, ces individus, influencés par des communautés virtuelles et des figures populaires sur les réseaux sociaux, sont encouragés à s’auto-diagnostiquer et à revendiquer une identité de malade, créant ainsi un climat où les faux positifs prolifèrent. A noter que ces identités correspondent souvent a des pathologies « valorisantes » ou à la mode : HPI, trouble bipolaire, TSA et plus rarement à des fonds de tiroir du DSM5 du genre pervers narcissique, psychopathe ou paraphile…
Ce phénomène met en lumière un aspect plus large : les réseaux sociaux eux-mêmes pourraient être considérés comme une forme de psychopathologie sociale. Le constructionnisme social, qui postule que nos réalités individuelles et sociales sont façonnées par les interactions et les récits partagés, fournit une clé de lecture utile pour comprendre cette tendance. Sur ces plateformes, les récits personnels, et notamment ceux liés à la souffrance psychologique, sont amplifiés et validés par des communautés en quête de reconnaissance mutuelle.
Cela correspond à une mise en scène de soi où le besoin de validation émotionnelle et sociale supplante la recherche d’une vérité clinique. Cette dynamique, facilitée par l’immédiateté des interactions en ligne, rappelle que les réseaux sociaux ne sont pas simplement des outils de communication, mais des environnements où la réalité psychologique se reconfigure sans cesse sous l’influence de discours viraux, amplifiés de manière parfois toxique, conduisant à une surenchère émotionnelle et pathologique. Le syndrome de Munchausen par Internet, tel que décrit par Éric Binet, n’est peut-être que la pointe émergée de l’iceberg : une manifestation visible d’une pathologie sociale bien plus vaste incarnée par les réseaux sociaux, au même titre que la malbouffe favorise l’obésité.
Le monde virtuel devient alors un espace où l’individualité est redéfinie par des récits souvent pathologiques, construits dans une dynamique de validation mutuelle et renforcés implacablement par les algorithmes. Le Munchausen par Internet, comme l’a souligné Binet, pourrait bien être l’un des symptômes d’une société où la pathologie se digitalise, devenant une nouvelle norme de l’expression de soi.
(le lien vers l’article original d’Eric Binet se trouve dans les commentaires et ici)
L’article original est consultable ici :
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2468749924000930
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