Hier soir, en regardant Hippocrate sur Canal, j’ai ressenti un véritable choc. En 12 saisons de Grey’s Anatomy (j’ai fini par lâcher,je ne me suis pas remis du départ de Lexie !), la série américaine avait fini par me convaincre d’un mythe médical : celui d’un monde où les médecins sont beaux, brillants, et toujours prêts à sauver une vie dans des blocs opératoires immaculés.

Certes, ils se disputent, s’aiment et se déchirent dans des intrigues rocambolesques, mais il y a toujours une ambulance disponible, un chirurgien d’élite sous la main, et des moyens illimités pour pratiquer des opérations spectaculaires.

Dans Hippocrate, en revanche, on atterrit brutalement. On est loin des couloirs bien éclairés de Seattle Grace. À la place, des médecins exténués, des internes livrés à eux-mêmes, et des patients qui patientent – souvent bien trop longtemps – dans des urgences bondées. Pas de place libre au bloc ? Pas de problème : on improvise. Pas de médicaments ? On bricole. L’hôpital public français, tel qu’il est montré ici, semble avoir basculé dans une dystopie médicale où la survie passe par des petites combines, une solidarité de fortune et une débrouillardise désespérée.

Ce contraste entre les deux séries révèle bien plus qu’une différence de style narratif : c’est le reflet de deux systèmes de santé diamétralement opposés. D’un côté, un univers fictionnel américain où tout paraît possible grâce à des moyens faramineux (mais pour ceux qui peuvent payer). De l’autre, la réalité crue d’un hôpital public français exsangue, où le personnel lutte non seulement contre les maladies, mais aussi contre un système institutionnel qui les maltraite.

Il y a trente ans, on parlait des hôpitaux du tiers-monde avec une condescendance à peine voilée. Aujourd’hui, en regardant Hippocrate, on a l’impression que la prophétie s’est réalisée chez nous. Merci à nos dirigeants, qui, eux, n’auront jamais à passer une nuit entière dans des urgences saturées, ou à accompagner un proche dans ces couloirs où l’humanité ploie sous le poids de l’abandon. Ils préfèrent l’Hôpital américain de Neuilly, loin des hurlements et des brancards dans les coins.

Regarder Hippocrate, c’est accepter de voir une vérité dérangeante : celle d’un système à bout de souffle où les héros, ce ne sont pas les chirurgiens surqualifiés de Grey’s Anatomy, mais bien ces soignants ordinaires qui continuent, envers et contre tout, à faire vivre ce qu’il reste de l’idéal d’Hippocrate.