Les débats actuels sur l’archaïsme de l’Académie Française ne sont, au fond, qu’une vieille rengaine. Ses définitions de termes comme « négrillon », « femme » ou « race », et leur caractère hors-sol, archaïque et blessant, nous scandalisent. Mais notre indignation se trompe d’époque : elle s’attaque aux symptômes d’un mal enraciné dès la fondation de cette institution, au XVIIᵉ siècle.

Rappelons-nous : l’Académie Française a été créée en 1635 par Richelieu, non pour démocratiser la langue, mais pour en faire un outil de pouvoir et de contrôle. Dans une France fracturée par des rivalités politiques et religieuses, il fallait centraliser, uniformiser. La langue, jugée essentielle à l’unité du royaume, devait devenir un instrument d’ordre et de domination culturelle, sous l’égide d’une élite triée sur le volet, si possible ecclésiastique (à l’instar de Vaugelas, le grand architecte de cette institution recruté par Richelieu).

Ce projet, bien qu’ambitieux, portait déjà en lui ses contradictions : comment prétendre refléter la richesse et l’évolution d’une langue vivante tout en la figeant dans un dictionnaire, conçu par un cénacle de vieillards ? Dès ses débuts, l’Académie n’a jamais été un miroir de la société, mais une institution normative, presque cléricale, chargée de dire comment il fallait parler, et non d’entendre comment on parlait.

Les scandales récents ne sont donc que la suite logique d’une histoire écrite à la plume des élites. Les académiciens ont toujours eu pour rôle d’imposer leur vision du monde, souvent détachée des réalités sociales. Il n’est pas étonnant que des mots comme femme soient définis avec une froideur clinique, ou que des termes comme négrillon portent encore les relents des mentalités coloniales du XIXᵉ siècle : ils incarnent un système où la langue est façonnée pour perpétuer les rapports de pouvoir.

L’Académie, aujourd’hui, s’efforce de rattraper son retard, mais elle reste prisonnière de sa raison d’être. Comment s’ouvrir au progrès sans trahir une tradition qui repose sur l’immobilisme ? Ses révisions, bien qu’essentielles, sont souvent perçues comme tardives ou hypocrites. Peut-être faudrait-il admettre que cette institution, pensée pour un absolutisme monarchique, n’est tout simplement plus compatible avec une société pluraliste et en mouvement.

Mais la véritable question est ailleurs : avons-nous besoin d’une institution comme l’Académie Française ? Dans un monde où la langue évolue à chaque tweet, où les marges produisent autant de culture que le centre, le rôle d’un cercle fermé d’immortels paraît anachronique. Peut-être faudrait-il enfin laisser la langue respirer, libre de ses gardiens poussiéreux.