Sophie Loubière, avec son roman Obsolète, nous offre une plongée vertigineuse dans un futur insoutenable où l’obsolescence programmée ne concerne plus nos gadgets, mais les femmes elles-mêmes. Imaginez un monde où, à 50 ans, mesdames, vous êtes priées de faire vos valises pour le Grand Recyclage, histoire de laisser la place à une femme plus jeune et fertile.

Dans cette société post-effondrement, l’humanité a appris à économiser les ressources, à se protéger du soleil et à recycler tout ce qui peut l’être. Y compris, donc, les femmes. Rachel, notre héroïne, approche de la date fatidique de son « retrait ». Solide et sereine en apparence, elle commence à douter de la bienveillance du fameux Domaine des Hautes-Plaines, destination finale des quinquagénaires, dépeinte comme idyllique. Après tout, personne n’en est jamais revenu pour en parler.

Ce roman n’est pas sans rappeler Le Ministère du futur de Kim Stanley Robinson, qui, malgré sa richesse et sa crédibilité, pouvait parfois sembler aussi digeste qu’un manuel d’instructions pour assembler un réacteur solaire. Loubière, elle, parvient à mêler anticipation écologique, féminisme et science-fiction avec une plume flamboyante et une intrigue policière haletante. Son récit fait froid dans le dos, notamment lorsqu’elle décrit une organisation sociale polygame  orientée vers la promotion de la fertilité, évoquant des œuvres comme Les Femmes de Stepford d’Ira Levin. Mais là où Levin construisait une satire sociale encore imprégnée du regard masculin – et au fond fasciné par le contrôle du corps des femmes – Loubière, elle, adopte une perspective féministe sans concession.

Et c’est bien ce contrôle du corps féminin qui est au cœur du roman, le rendant à la fois fascinant et insoutenable. Un contrôle si total, si implacable, qu’il interroge aussi la place des hommes dans ces systèmes d’oppression. Même soi-disant déconstruit, comment ne pas sentir en tant qu’individu du genre masculin le poids (même s’il se traduit concrètement par des privilèges) des cathédrales culturelles du patriarcat ? Comment être un homme dans un monde où tout semble conçu pour faire des femmes des ressources à exploiter, à rentabiliser, à « recycler » ? L’auteure ne se contente pas de dénoncer : elle met le lecteur face à cette contradiction existentielle, le forçant à se questionner sur ce que signifie véritablement sortir du système.

En refermant Obsolète, difficile de ne pas penser à la chanson Une sorcière comme les autres de notre regrettée Anne Sylvestre, tant le roman interroge sur la condition féminine et les carcans imposés par la société. Loubière nous livre ici une œuvre puissante qui remplit brillamment les fonctions de la science-fiction intelligente : nous faire vibrer et réfléchir. Une jolie claque.