J’ai bingé les quatre épisodes de Douglas is Cancelled (Arte) d’une traite, sans pause, et avec une forme de fascination horrifiée. C’est finement écrit, brillamment dialogué, terriblement anglais — et affreusement actuel, même si l’on a déjà vu beaucoup de fictions sur ce thème.

Au début, bien sûr, difficile de ne pas voir en Hugh Bonneville l’ombre rassurante de son précédent avatar : Robert Crawley, comte de Grantham dans Downton Abbey, ce noble à la raideur de colonne vertébrale inversement proportionnelle à l’évolution rapide de la société à son époque. C’est presque malaisant pour qui a vu et adoré toutes les saisons de la série.

Mais très vite, le vernis du costume d’époque craque sous la modernité grinçante du propos. Car derrière l’histoire de ce présentateur vedette pris dans la tourmente d’un tweet douteux, se déploie un portrait sans concession — et sans pathos — de ce que la masculinité produit de plus banal : la suffisance, l’aveuglement, la lâcheté. La prédation aussi, parfois. Et pour ceux qui ne passent pas à l’acte, il reste l’option de regarder ailleurs, ou pire, d’en rire. Pas de bonne conscience à bon compte.

Dans cette fable au scalpel, les figures féminines sont magistrales. Mention spéciale à Madeline Crow (incarnée avec une intensité troublante par Karen Gillan), dont le personnage nous maintient, jusqu’à la dernière scène, dans un tiraillement  entre plusieurs versions d’un même récit. Ce flou moral, cette incertitude gênante, en disent long sur nos réflexes culturels de genre : à qui accorde-t-on spontanément le bénéfice du doute ? Quels sont les discours culturels de domination que nous servons en privilégiant une version possible de l’histoire sur la vérité que l’on découvre a la fin ?

En regardant cette série, je me suis surpris à penser au procès Depardieu. Là aussi, un homme qu’on avait cru inamovible, intouchable, indétrônable. Et qui se retrouve aujourd’hui face à des accusations d’agressions sexuelles d’une violence extrême. Oui, il est juridiquement présumé innocent pour le moment. Mais la dignité et le courage de celles qui ont parlé forcent le respect, contrairement à ses dénégations arrogantes à géométrie variable. Ce que Douglas is Cancelled montre avec brio, c’est cette tectonique des plaques entre ce qu’hier encore on considérait comme de l’humour, et la dignité des femmes aujourd’hui après le passage de Mee Too.

La série ne moralise pas. Elle dissèque. Avec précision. On en ressort un peu sonné, un peu mal à l’aise (« et moi alors, je suis loin d’être blanc-bleu dans cette affaire »), un peu inquiet aussi — de tout ce qu’on a pu faire, laisser passer, de tout ce qu’on continue à minimiser.

Douglas est cancelled, certes, et peut-être ne comprendra t-il jamais pourquoi. Mais ce n’est plus une tragédie. C’est peut-être même le début d’un roman où les personnages féminins rendent coup pour coup.